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Les deux Willy Wonka à l’écran

Image tirée du film Charlie et la chocolaterie (2005)

Publié en 1964, le populaire roman de Roald Dahl, Charlie et la chocolaterie, a eu droit à deux adaptations très différentes au cinéma. La première version a rapidement vu le jour, soit en 1971, avec l’une des ententes commerciales parmi les plus inusitées provenant d’Hollywood!

C’est la fillette du réalisateur Mel Stuart qui aurait suggéré à son père de porter au grand écran l’histoire de Dahl. Séduit par le bouquin, Stuart approche David L. Wolper, un ami producteur, pour lui proposer d’en acheter les droits. Ce dernier était en pourparlers avec la compagnie Quaker Oats (oui, celle du gruau) qui cherchait un partenariat afin de vendre de nouvelles barres chocolatées. Fin renard, le producteur réussit donc à convaincre la compagnie de financer la production du film à la hauteur d’un budget de trois millions en échange de l’exploitation des barres « Wonka » qui seront présentes à l’écran. La production est donc entièrement financée par une compagnie alimentaire qui ne connaît rien au cinéma en contrepartie d’un placement de produit! Wolper se tourne ensuite vers le studio Paramount pour la distribution du film en salles.

À l’origine, Wolper et Stuart veulent la pleine collaboration de l’auteur, qui avait entériné cette entente. Ils lui offrent donc la possibilité d’écrire le scénario, mais cette expérience tourne rapidement au désenchantement. Dahl quitte la production avant même qu’un premier jet ne soit terminé et, déçu des changements apportés à son œuvre, il reniera finalement l’adaptation. Dahl trouve, entre autres, que le film donne trop de place au personnage de Willy Wonka au détriment de celui de Charlie. D’ailleurs, le titre sera changé en inversant les noms des personnages. Les producteurs jugent que mettre de l’avant le nom « Willy Wonka » aidera mieux le film à se démarquer en termes de marketing que le prénom commun de Charlie.

Pour le rôle de Willy Wonka, plusieurs acteurs expriment leur intérêt, dont Fred Astaire et Peter Sellers. On s’arrête sur Gene
Wilder après une audition remarquable dans laquelle le comédien séduit le réalisateur par son attitude narquoise. La légende veut que Wilder ait accepté le rôle à condition que son personnage soit introduit à l’écran exactement comme il le voulait : d’abord en boitant, puis en exécutant une pirouette. Wilder est aussi très impliqué dans la confection de son costume, du choix de l’emplacement des poches sur son veston jusqu’à la grandeur de son chapeau.

Quant au personnage de Charlie Bucket, le jeune Peter Ostrum, 12 ans, est repéré sur scène au Cleveland Play House Children’s Theater par des agents qui travaillent à la production du film. On l’invite à venir auditionner à New York et il hérite du rôle peu de temps après. Après le tournage, Ostrum refusera un contrat pour trois films avec Wolper comme producteur. Ce sera son seul rôle au cinéma, alors que le jeune devient finalement vétérinaire.

La production de la version de 1971 est entièrement financée par une compagnie alimentaire qui ne connaît rien au cinéma en échange d’un placement de produit!

Fait plutôt rare pour l’époque, le tournage a lieu en Allemagne de l’Ouest, en grande partie aux studios Bavaria. Pour la séquence de la pièce en chocolat, le tiers des décorations est comestible, comme les melons, les champignons géants et les feuilles dans les arbres. Par contre, l’étang n’est pas en chocolat. On utilise plutôt de l’eau avec du colorant.

Sorti le 30 juin 1971, Willy Wonka au pays enchanté (le titre québécois de Willy Wonka & the Chocolate Factory) connaît un échec commercial en salles alors qu’il ne récolte que quatre millions de dollars au box-office. Quelques années plus tard, Paramount recède même les droits à la Quaker Oats Company qui les revend à la Warner Bros. pour la somme de 500 000 $. Le film connaîtra un certain succès à la télévision et en VHS dans les années 1980 et 1990, atteignant aujourd’hui le statut de film culte.

Cette nouvelle popularité mène la Warner à vouloir créer une nouvelle version du film. Échaudé par la première version, Dahl, décédé en 1990, s’est assuré que certains aspects créatifs de la production (comme les rôles de scénariste, réalisateur et acteurs) soient approuvés par ses ayants droit. Les choix de la famille penchent vers Terry Gilliam, Ang Lee et Spike Jonze. On s’entend plutôt sur Gary Ross (The Hunger Games), qui quitte le projet peu de temps après. Puis, Martin Scorsese s’y intéresse, mais il préfère finalement tourner The Aviator (L’aviateur). Warner milite fortement pour que ce soit le réalisateur Tom Shadyac et le comédien Jim Carrey, le duo derrière les films Ace Ventura, mais ce souhait est rapidement rejeté. Le studio propose éventuellement Tim Burton, choix qui est accepté avec enthousiasme. Burton est un grand amateur de l’œuvre de Dahl et il avait d’ailleurs produit une version animée de James and the Giant Peach (James et la pêche magique), qui avait remporté un bon succès. Et, tout comme Dahl, il déteste la version de 1971 et il veut rendre justice à l’œuvre avec cette nouvelle adaptation.

Sans grande surprise, Burton choisit Johnny Depp, son acteur fétiche, pour le rôle du maître chocolatier. Il s’agit d’une quatrième collaboration entre les deux après Edward Scissorhands (Edward aux mains d’argent, 1990), Ed Wood (1995) et Sleepy Hollow (1999). The Corpse Bride (La mariée cadavérique), qui sera leur cinquième collaboration, sortira également la même année que Charlie et la chocolaterie, soit en 2005. Pour la Warner, le choix de Depp est une grosse prise, car le comédien connaît alors un énorme succès avec son incarnation de Jack Sparrow dans le premier film des Pirates des Caraïbes deux ans plus tôt. Il n’y avait pas que des acteurs d’Hollywood qui convoitaient le rôle : Michael Jackson voulait désespérément jouer Willy Wonka. Il aurait même enregistré des chansons originales destinées au film. Burton n’est pas intéressé par Jackson, mais le studio, conquis par les chansons du roi de la pop, lui aurait fait une offre pour les utiliser. Insulté de ne pas avoir obtenu le rôle, le chanteur décide de tabletter les chansons qui reposent encore aujourd’hui dans les voûtes de l’artiste.

Johnny Depp aime toujours donner une touche d’excentricité à ses personnages. Pour sa version de Willy Wonka, avec sa coupe au carré et ses énormes lunettes fumées, l’acteur s’inspire d’Anna Wintour, éditrice du magazine Vogue. C’est aussi le comédien qui recommande au réalisateur de prendre Freddie Highmore pour le rôle de Charlie. Les deux avaient partagé l’affiche dans Neverland (Voyage au pays imaginaire) un an plus tôt.

La production a lieu aux Studios Pinewood en Angleterre, en partie sur le plateau 007, l’un des plus grands au monde. C’est à cet endroit que la pièce en chocolat est construite. Encore une fois, la production n’utilise pas du vrai chocolat, mais Tim Burton tient à créer un aspect chocolaté plus réel que celui du film précédent. La concoction à base d’eau, d’un agent chimique et de colorant aura pris quelques mois à perfectionner, mais le résultat est saisissant. Au total, 190 000 gallons de ce liquide texturé sont déversés dans un bassin de 80 mètres de long et d’une profondeur de 2 mètres.

À sa sortie à l’été 2005, le film est non seulement salué par la critique, il connaît également un énorme succès aux guichets. Évidemment, la Willy Wonka Candy Company, maintenant entre les mains de Nestlé, en profite pour sortir une gamme de produits thématiques, dont des barres de chocolat qui contiennent de fameux « tickets d’or » qui permettent aux gagnants de mériter divers prix. À la grande déception de Burton et Depp, Gene Wilder n’a pas vraiment apprécié cette version, la qualifiant de mièvre. Peut-être qu’elle aurait finalement plu à Roald Dahl? |