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Richard Comeau

Crédit photo : Kun Chang

De tous les mĂ©tiers du cinĂ©ma, celui de monteur demeure pour plusieurs personnes le plus nĂ©buleux. On ne mesure pas l’ampleur du travail qui lui est associĂ© et l’importance de celui-ci pour construire la version finale de l’Ɠuvre. L’apport du montage semble d’ailleurs invisible lorsque nous regardons les images au cinĂ©ma. Si la profession a beaucoup Ă©voluĂ© techniquement avec l’arrivĂ©e du numĂ©rique (nous sommes trĂšs loin de l’époque des tables de montage Steenbeck, oĂč les monteurs manipulaient physiquement la pellicule), rien n’a changĂ© dans l’engagement et le professionnalisme de ceux et celles qui l’exercent. Bien au-delĂ  de leur tĂąche qui consiste Ă  assembler des sĂ©quences, les monteurs sont d’une certaine façon les gardiens de la trame narrative du film. Richard Comeau est assurĂ©ment, Ă  cet Ă©gard, un cas exemplaire.

Originaire de Chicoutimi, Richard Comeau possĂšde une filmographie vraiment impressionnante, ayant collaborĂ© entre autres avec Denis Villeneuve, Louise Archambault, BenoĂźt Pilon, Kim Nguyen, Philippe Falardeau et tant d’autres. Il a de plus remportĂ© de nombreux prix, dont pas moins de six Jutra/Iris pour le meilleur montage des longs mĂ©trages Maelström, Polytechnique, Rebelle, Gabrielle, Guibord s’en va-t-en guerre et Un ours et deux amants. C’est le film collectif Cosmos qui a vĂ©ritablement lancĂ© sa carriĂšre en 1996, Ɠuvre qui a aussi propulsĂ© les cinĂ©astes Jennifer Alleyn, Manon Briand (dont Richard Comeau montera tous les longs mĂ©trages), Marie-Julie Dallaire, Arto Paragamian, AndrĂ© Turpin et Denis Villeneuve. Si la majoritĂ© des crĂ©ations de Richard Comeau sont des fictions en format long, il a aussi mis sa touche sur quelques documentaires, certains courts mĂ©trages et deux jeux vidĂ©o. Eh oui! Nous pouvons voir les monteurs comme de vĂ©ritables crĂ©ateurs, tout comme de nombreux autres artisans du cinĂ©ma (costumier, directeur artistique, mixeur sonore, etc.).

« Bien au-delĂ  de leur tĂąche qui consiste Ă  assembler des sĂ©quences, les monteurs sont d’une certaine façon les gardiens de la trame narrative du film. Richard Comeau est assurĂ©ment, Ă  cet Ă©gard, un cas exemplaire. »

Reconnu dans le milieu pour son franc-parler, Richard Comeau sait trĂšs bien que sa mĂ©thode ne conviendra pas Ă  tous les cinĂ©astes. Ceux et celles qui l’approchent pour travailler avec lui savent, ou dĂ©couvrent rapidement, qu’il n’a pas la langue dans sa poche lorsqu’il s’agit de rendre justice Ă  l’histoire (en fiction) ou de la faire Ă©merger Ă  travers tout le piĂ©tage qui a Ă©tĂ© tournĂ© (en documentaire). Et de façon surprenante, le monteur demande d’ĂȘtre impliquĂ© trĂšs tĂŽt dans le processus crĂ©atif, soit dĂšs qu’une premiĂšre version du scĂ©nario est disponible. Il peut ainsi partager ses impressions et prĂ©voir beaucoup mieux tout ce qui suivra. C’est de cette maniĂšre qu’il a pu faire des propositions Ă©clairĂ©es Ă  son complice Kim Nguyen pour qu’il modifie quelques passages d’Eye on Juliet. Et Ă  l’opposĂ©, c’est au montage qu’il a rĂ©duit le nombre de points de vue dans le drame Polytechnique (en le suggĂ©rant Ă  Denis Villeneuve), passant de ceux du tueur et de cinq victimes, Ă  une seule d’entre elles. Cette relation de confiance n’est pas donnĂ©e Ă  tous les monteurs ou monteuses; c’est l’expĂ©rience et le sens du jugement qui la solidifient.

Si dans certains milieux les monteurs sont de simples exĂ©cutants des visions du cinĂ©aste, au QuĂ©bec, il y a un rĂ©el Ă©change entre les artisans. Richard Comeau a plus de 30 ans de mĂ©tier. DerriĂšre son regard affĂ»tĂ© se cache un redoutable pouvoir d’analyse et un Ă©loquent bagage cinĂ©matographique. Cela lui permet de bien comprendre les intentions de chacun et de trouver facilement ses repĂšres. MĂȘme s’il change complĂštement de genre, Richard Comeau anticipe toujours le bon rythme pour raconter chaque intrigue, comme le prouvent si bien les trĂšs diffĂ©rents Marie Chapdelaine, le film d’époque de SĂ©bastien Pilote qui dure 158 minutes, et Chuck, le film de boxe de Philippe Falardeau qui s’arrĂȘte Ă  98 minutes. Le montage, c’est beaucoup une question de flair, de discernement pour savoir si un plan doit se prolonger ou non, pour faire ressentir une Ă©motion ou expliquer de maniĂšre trĂšs subtile une situation. Le finissant de l’UniversitĂ© Concordia l’a bien compris, passant facilement de la comĂ©die au drame, appliquant avec finesse les rouages narratifs que chaque genre impose.

Au fil du temps, le monteur le plus rĂ©compensĂ© du cinĂ©ma quĂ©bĂ©cois a su dĂ©velopper des relations Ă©troites avec plusieurs rĂ©alisateurs et rĂ©alisatrices d’ici, qui apprĂ©cient son exigence et son honnĂȘtetĂ©. Avec la sortie de Chien blanc d’AnaĂŻs Barbeau-Lavalette et celle de La meute d’Anne Émond l’an prochain, on constate que la rĂ©putation de Richard Comeau lui permet d’établir aussi des liens de confiance avec de nouvelles collaboratrices. Ayant toujours Ă  cƓur la fluiditĂ© du rĂ©cit, Richard Comeau s’assure que les histoires dans lesquelles nous plongeons, dans l’obscuritĂ© des salles, soient les meilleurs possibles. Et pour ça, nous pouvons le remercier. |