CrĂ©dit photo : Goyas 2018 – WikipĂ©dia
Au contraire de célèbres duos comme Laurel et Hardy, certaines des plus belles collaborations au cinéma ne se voient pas au grand écran. Qu’on pense aux tandems réalisateur-muse, comme Hitchcock et Grace Kelly, Godard et Anna Karina; ou aux alter ego acteur-réalisateur, comme De Niro et Scorsese ou Jean-Pierre Léaud et François Truffaut. Il y a aussi les collaborations étroites entre réalisateur et scénariste ou celles entre réalisateur et directeur photo. Enfin, il y a bien entendu celles qui unissent fidèlement un cinéaste à un compositeur : pensons à Fellini et Nino Rota, Sergio Leone et Ennio Morricone ou encore Spielberg et John Williams. À cette liste, on peut facilement ajouter le prolifique duo formé de Pedro Almodóvar et Alberto Iglesias. À l’occasion de la sortie cet hiver de Mères parallèles du célèbre réalisateur madrilène, le moment est bien choisi pour s’intéresser de plus près aux compositions d’Iglesias pour le 7e art et à la magnifique complicité créatrice qui l’unit à Almodóvar.
L’artiste a été récompensé dix fois pour la meilleure musique originale de film aux prix Goya, considérés comme les Oscars espagnols. Il a de plus été nommé trois fois aux Oscars pour son travail sur les films La Constance du jardinier, Les Cerfs-volants de Kaboul et La Taupe.
Né en 1955 au Pays basque, dans la cité de Saint-Sébastien, Alberto Iglesias s’intéresse tôt à la musique, assez pour l’étudier au conservatoire de la municipalité. Puis, c’est du côté de Paname qu’il poursuivra sa formation de pianiste, explorant la sphère électroacoustique en ayant comme mentor le Chilien Gabriel Brnčiće. Celui qui n’a aucun lien de parenté avec le célèbre chanteur de charme Julio Iglesias termine son exploration des sons à Barcelone dans les années 80 en plongeant dans l’univers de la musique électronique, aux côtés de Javier Navarrete, musicien qui, plus tard, sera nommé aux Oscars pour son travail sur Le Labyrinthe de Pan.
Provenant d’une famille d’artistes, Alberto Iglesias voit l’un de ses frères, José Luis, artisan du 7e art, l’initier à ce milieu. Le jeune compositeur se fait alors les dents sur plusieurs productions, créant des musiques instrumentales qui plairont à plusieurs cinéastes espagnols réputés dont Pedro Costa, Carlos Saura et surtout Julio Medem, avec lequel il collaborera à plusieurs reprises.
Alberto Iglesias est à l’origine des musiques de douze longs métrages de Pedro Almodóvar, dont Tout sur ma mère, Parle avec elle, Volver et Douleur et gloire. Il a aussi composé les trames sonores de plusieurs films internationaux comme La Femme de chambre du Titanic (Bigas Luna), Les Amants du cercle polaire (Julio Medem), La Constance du jardinier (Fernando Meirelles), Les Cerfs-volants de Kaboul (Marc Forster), Che (Steven Soderbergh), La Taupe (Tomas Alfredson), Exodus (Ridley Scott) et Everybody Knows (Asghar Farhadi).
C’est en 1995, lors de la production du onzième long métrage de Pedro Almodóvar, La Fleur de mon secret, que l’artiste basque est appelé pour la première fois à mettre en musique l’imaginaire coloré du cinéaste. La signature visuelle et l’écriture d’Almodóvar sont déjà à ce moment très singulières et le musicien s’imprègne des thèmes récurrents chers au réalisateur pour mieux épouser en sonorités des personnages atypiques et excentriques ou des situations parfois burlesques, parfois dramatiques. Les mères fortes ou absentes, les travestis et les transgenres, les amoureux éperdus ou éconduits, les femmes fantasques évolueront sur les airs créés par Iglesias pour Almodóvar.
En entrevue, Iglesias avoue lire les scénarios du réalisateur, mais n’entamer son travail qu’une fois qu’Almodóvar lui a permis de visionner un premier montage du film dans son entièreté. C’est à partir de ce moment que l’inspiration lui vient pour imaginer la meilleure ambiance sonore qui pourra enrober une scène. Le piano et les ensembles à cordes sont ce que le compositeur préfère mettre de l’avant, mais il sait laisser son ego de côté lorsque Almodóvar fait appel à des chansons populaires des Pointer Sisters ou de Caetano Veloso pour illustrer des scènes plus éclatées ou plus tendres.
Alberto Iglesias a également composé la musique de quatre ballets durant les années 90 et sa sœur Cristina est reconnue depuis de nombreuses années en Espagne comme une artiste majeure dans le milieu des arts visuels, notamment pour ses sculptures et ses installations, qui ont été présentées dans une soixantaine d’expositions internationales.
On a bien hâte d’entendre les nouvelles compositions instrumentales d’Iglesias pour Mères parallèles (Madres paralelas), le très attendu nouveau drame d’AlmodĂłvar, film d’ouverture de la plus rĂ©cente Ă©dition de la Mostra de Venise. Dans ce film, deux cĂ©libataires tombĂ©es enceintes par accident, Janis (PenĂ©lope Cruz) et Ana (Milena Smit), se rencontrent Ă l’hĂ´pital alors qu’elles sont sur le point d’accoucher. L’aĂ®nĂ©e, ravie Ă l’idĂ©e d’être mère, tentera de rassurer la plus jeune, rongĂ©e par les remords. Un rĂ©cit tourmentĂ© qui a de quoi inspirer le pianiste de formation, lui dont on entendra possiblement aussi le travail musical pour le film Maixabel d’IcĂar BollaĂn, rĂ©alisatrice de MĂŞme la pluie, lancĂ© en 2011, et Le Mariage de Rosa, sorti l’an passĂ©. |