Crédit photo : Jocelyn Michel
Ă lâoccasion de la sortie du drame La Femme cachĂ©e, MonCinĂ© a pu sâentretenir avec le rĂ©alisateur Bachir Bensaddek et le comĂ©dien Antoine Bertrand.
Les origines du film sont assez particuliĂšres. Bachir, comment en ĂȘtes-vous venu Ă y participerâ?
Bachir Bensaddekâ: Ă la sortie dâun film, notre producteur, Serge NoĂ«l, se fait apostropher par une dame qui lui dit quâelle aimerait quâil fasse un film sur sa vie. En souriant, il lui rĂ©pond quâil aimerait bien lui aussi que quelquâun fasse un film sur la sienne. Elle insiste et offre mĂȘme de lui payer un cafĂ© afin de lui raconter sa vie. Ils sont donc assis et Serge Ă©coute la dame, puis Ă la fin, il a envie de tomber en bas de sa chaise tellement elle avait vĂ©cu une vie de misĂšre remplie de sĂ©vices et dâhorreur. CâĂ©tait tellement dramatique et tragique quâil lui a dit que oui, il y avait certainement de la matiĂšre, mais quâil fallait tout dâabord Ă©crire des notes biographiques. AprĂšs un an, Serge part donc Ă la recherche de collaborateursâ: Maria Camila Arias, la scĂ©nariste, et moi-mĂȘme pour la rĂ©alisation. Jâai donc lu les notes biographiques et jâai Ă©tĂ© renversĂ© par la violence par laquelle cette femme Ă©tait passĂ©e depuis son enfance. Jâai donc dit oui, que jâembarquais. Pourquoiâ? Parce quâil y avait une dĂ©marche rĂ©paratrice dans sa dĂ©marche. Câest-Ă -dire quâau fil de temps, oui, ça dĂ©crit sa jeunesse difficile, mais aussi son arrivĂ©e au QuĂ©bec, le fait quâelle tombe en amour avec quelquâun avec qui elle a des enfants⊠On voit donc, petit Ă petit, comment elle sâest sortie de ce programme qui Ă©tait prĂ©vu pour elle, de cette mĂȘme vie de merde que ces prĂ©dĂ©cesseurs. Câest donc ça qui mâa attirĂ©, cette dimension de dire quâelle est une gagnante et le fait que contre vents et marĂ©es, elle y va pareil. Quâelle va essayer quand mĂȘme dâavancer, quâelle va ĂȘtre une bonne maman et faire ce quâil faut pour sâen sortir.
Lorsque vous arrivez dans le projet, est-ce que Maria avait dĂ©jĂ commencĂ© son travail dâĂ©criture sur le scĂ©narioâ?
Bachirâ: Nous avons commencĂ© par faire un travail de table avec Serge NoĂ«l en dĂ©cidant ce quâon garde, ce quâon ne raconte pas. DĂšs le dĂ©part, on a dĂ©cidĂ© quâon ne verrait pas la nature des sĂ©vices. Il fallait aussi quâon sâapproprie le personnage, que ce ne soit plus une personne rĂ©elle. Il devait ĂȘtre fictif et on devait pouvoir sâintĂ©resser Ă son parcours Ă©motionnel, Ă sa quĂȘte de vieâ: comment [ce personnage] a reçu ça et comment [il] a Ă©voluĂ©. Puis, on a rĂ©inventĂ© des scĂšnes. Maria est repartie de son cĂŽtĂ© Ă©crire une version scĂšne Ă scĂšne du scĂ©nario. Nous avons Ă©changĂ© et, par la suite, elle est revenue avec une premiĂšre version dialoguĂ©e. Petit Ă petit, je me suis aussi impliquĂ© dans lâĂ©criture des versions subsĂ©quentes. Entre-temps, elle a eu le temps dâavoir un bĂ©bĂ© qui, depuis, marche et parleâ! Donc, vous voyez combien ça peut prendre de temps avant de faire un film (rire).
Quelles qualitĂ©s voyais-tu en Antoine Bertrand pour le rĂŽle du mari, Sylvainâ?
Bachirâ: Jâavais besoin de quelquâun qui incarne ce personnage qui nâest pas facile Ă aborder, parce quâil nâest pas complĂštement actif dans cette histoire. Câest quelquâun qui subit beaucoup. Tout dâun coup, jâai pensĂ© Ă Antoineâ! Et, plusieurs choses ont ensuite dĂ©bloquĂ© alors que le personnage a pris forme, inspirĂ©e du phrasĂ© et du silence dâAntoine. Jâai trouvĂ© un Sylvain qui nâest pas Antoine, mais qui est fortement inspirĂ© par lui. On avait besoin dâun Sylvain auquel on pouvait sâattacher, qui soit enveloppant. Cette diffĂ©rence physique, quâil soit plus baraquĂ© quâHalima, Ă©tait importante. Elle nâa pas eu dâenfance ni de pĂšre protecteur. Câest son mari qui la protĂšge. En mĂȘme temps, il fallait que le public quĂ©bĂ©cois puisse sâaccrocher Ă quelque chose alors quâelle prenait des dĂ©cisions douteuses. Ăa nous prenait la rĂ©action dâun Sylvain non seulement dĂ©boussolĂ©, mais qui est Ă©galement sympathique. Je lâai construit sur papier, mais quand Antoine est arrivĂ© dans le dĂ©cor, il lui a donnĂ© chair.
Antoine, quâest-ce qui vous a attirĂ© dans ce personnageâ?
Antoine Bertrandâ: En fait, jâai accrochĂ© Ă lâhistoire dĂšs le dĂ©but de la lecture du scĂ©nario, et câest pour ça que jâai acceptĂ© de faire le film. Je me suis dit : «âIl faut que je participe à ça.â» Jâavais aussi une envie de mâouvrir et dâapprendre de cette culture-lĂ . Jâavais Ă©galement le goĂ»t de travailler avec Bachir. AprĂšs ça, on dirait que jâai finalement compris mon personnage seulement aprĂšs avoir vu le film en rĂ©alisant ce que Bachir voulait faire de Sylvainâ: soit une terre dâaccueil, un ĂȘtre protecteur et enveloppant. Mais, comme Bachir le souligne, ce nâĂ©tait pas simple Ă jouer parce quâil subit, quâil est Ă la remorque. Sauf quâil doit exister, et il devait ĂȘtre complice avec Halima. Il fallait croire Ă leur couple. Au final, on comprend pourquoi elle est allĂ©e complĂštement Ă lâopposĂ© de ce quâelle a vĂ©cu, vers une prĂ©sence rassurante. Ce que je trouve de beau au film, câest que la famille est Ă la fois la cause et la solutionâ: sa vieille famille est la cause et sa nouvelle, la solution. Disons que câest plus facile de jouer un Louis Cyr quâun Sylvain (rire).
Dâailleurs, tu incarnes Sylvain avec beaucoup de retenue dans ton jeu. Est-ce plus facile ou difficile pour toi, ce genre dâinterprĂ©tationâ?
Antoineâ: Oui, câest plus dur, mais câest plus le fun aussi. Ce que jâaimais avec le scĂ©nario, câest quâil nous laissait de la place pour jouer. Les choses nâĂ©taient pas toutes dites. Donc, ça implique que pour nous, les comĂ©diens, il faut savoir exactement oĂč on est Ă©motionnellement et psychologiquement. Il y a quand mĂȘme des moments dâimpro qui sont Ă lâĂ©cran, car ça rendait les personnages plus humains.
Bachir, que peux-tu nous dire sur ton choix de Nailia Harzoune pour le rĂŽle dâHalimaâ?
Bachirâ: Jâai cherchĂ© longtemps Halima. Je nâĂ©tais pas satisfait par ce quâon me proposait comme solution. Jâavais envie de quelquâun qui soit fort physiquement, comme une panthĂšre noire. Elle est ceinture noire en karatĂ© et, mĂȘme si ça nâoccupe pas de place, ça en dit long sur le chemin quâelle a dĂ» parcourir pour se rĂ©approprier son corps et sa prĂ©sence parmi les autres. Il y avait donc ça, mais je voulais aussi un regard dâoiseau blessĂ©, cette marque dâenfance qui pouvait parfois ressortir. Puis, je reçois des messages dâune directrice de casting et dâune agente qui ne se connaissaient pas, qui me parlent de Nailia. On lui a fait parvenir le scĂ©nario et elle lâa adorĂ©. Je lui ai ensuite parlĂ© et çâa Ă©tĂ© un coup de foudre artistique. Elle avait tout de suite saisi le rĂŽle. Elle avait les mots pour dĂ©crire le parcours dâHalima. Je me suis ditâ: «âBon. Câest elleâ! Pas besoin de chercher plus loin.â» Je me suis mĂȘme battu pour lâavoir parce quâelle avait un horaire trĂšs occupĂ©, mais pour moi, câĂ©tait elle (rire). Avec les comĂ©diens, on a fait des lectures et quelques rĂ©pĂ©titions. Mais, on a toujours continuĂ© de parler dâHalima et de Sylvain. Nailia et Antoine ont tout ingĂ©rĂ© mes indications et ils ont laissĂ© aller lâĂ©motion. Entre «âactionâ» et «âcoupezâ», ça leur appartenait et je les laissais vivre la scĂšne. Il Ă©tait important pour moi quâils apportent une part dâeux. MĂȘme que, parfois, Nailia me ramenait Ă lâordre en suggĂ©rant des moments plus lĂ©gers. Et, elle avait raison (rire).
Antoineâ: Ce qui est le fun avec Bachir, câest quâil est bien entourĂ© et il Ă©coute aussi les propositions. Il a un bel esprit dâouverture.
La scĂšne finale avec Nailia est extrĂȘmement bouleversante. Comment lâavez-vous travaillĂ©e ensembleâ?
Antoineâ: On en a beaucoup parlĂ©. Je trouve que, parfois, dans ce genre de scĂšne, il ne faut pas tomber dans la satisfaction des larmes. Parfois, elles sont de mise, mais câest aussi intĂ©ressant de voir un personnage tout faire pour ne pas pleurer. Ici, on sentait quâil fallait aller un peu Ă la guerre, beaucoup mĂȘme (rire). Il y avait une limite Ă Sylvain de tout le temps recevoir et, en mĂȘme temps, câĂ©tait cohĂ©rent avec le personnage. Pour le jouer, il faut de la concentration, mais il ne faut pas aussi trop y penser. Mais, ce qui me touche beaucoup de la scĂšne, câest Nailia. Elle est forte et câest elle qui le console. Faut que tout ce qui sâenchaĂźne comme action soit organique et vrai. Câest pas simple (rire)!
Bachir, tu utilises peu la musique dans le film. CâĂ©tait pour Ă©viter de trop appuyer les imagesâ?
Bachirâ: Jâai demandĂ© au compositeur Ramachandra Borcar de ne pas me donner une musique qui dirait aux spectateurs comment se sentir. Jâen veux une qui va exprimer ce quâHalima ne dit pas. Jâai mĂȘme travaillĂ© sans musique tout au long de la postproduction. Je ne voulais pas mâenfermer musicalement. Je voulais vivre leurs Ă©motions. Je mâen suis donc servi seulement Ă quelques moments afin de venir nous Ă©clairer. |
Le drame La Femme cachĂ©e est prĂ©sentement Ă lâaffiche.